Comment fait un pianiste pour bouger ses 2 mains, 10 doigts et 2 pieds de façon parfaitement indépendante ?
Découvrez en vidéo une magnifique oeuvre de Franz Schubert qui illustre cette indépendance.
La méthode qui permet de développer des mains et des doigts aussi indépendants est étonamment banale, mais elle n'est pas pour autant facile.
Pour appliquer cette méthode il est utile de comprendre un peu comment le cerveau communique avec les mains et les doigts.
Vous comprendrez ensuite mieux la formule qui vous permettra d'apprendre une pièce au piano.
L'indépendance des mains, c'est naturel !
Faire des choses différentes et dissociées avec les deux mains (et les deux pieds) est parfaitement normal pour un être humain.
Deux exemples :
Quand vous conduisez une voiture, vous changez de vitesse, tout en maintenant la voiture sur la route et en plus, vous discutez avec votre passager. Les mains et les pieds font des choses de façon bien orchestrée mais parfaitement indépendantes et vous arrivez en plus à suivre une conversation.
Quand vous montez dans un bus ou un train tout en téléphonant et en appuyant avec l’autre main sur le bouton de la porte, vous utilisez vos membres de façon indépendante et presque inconsciente, car votre attention principale est plutôt au niveau de la conversation téléphonique.
Deux mains indépendantes sur le piano
Voici une vidéo montrant un pianiste dont les mains se baladent de façon parfaitement indépendante sur les touches du clavier.
On voit dans cette vidéo que les deux mains du pianiste jouent des parties très différentes avec notamment des rythmes indépendants.
Cette magnifique pièce est la sérénade "Ständchen" de Franz Schubert. Nous l'enseignons souvent dans nos cours de piano, car beaucoup de nos élèves rêvent de l'apprendre.
Voici la partition, si vous voulez vous y mettre aussi (cliquez sur l'image pour consulter la partition dans une nouvelle fenêtre) :
Mais cela semble difficile à apprendre.
La réalité est un peu plus nuancée (comme souvent), c’est à la fois simple et difficile :
- c’est simple, parce qu’ il suffit de pratiquer de façon disciplinée des exercices ou pièces adaptés à son niveau ;
- c’est difficile, parce qu’il n’est pas aisé d’avoir la discipline nécessaire.
Petit aparté : Comment trouver des pièces ou exercices adaptés à son niveau et comment avoir la discipline nécessaire pour les travailler ? La meilleure solution que l'on ait trouvée à ce jour semble être : suivre des cours avec un bon professeur. Mais revenons au sujet de l'article...
Répéter, répéter, répéter
Comment peut-on apprendre à gérer autant de mouvements différents (10 doigts, 2 mains et pieds) en même temps ? Tout simplement, par la répétition des gestes. A force de les répéter souvent, la plupart de nos mouvements deviennent automatiques ou inconscients.
Comment un petit enfant apprend-il a marcher ? Il essaie, tombe, essaie encore, tombe encore, ressaie encore et finit par réussir une première fois. Pour être capable de marcher sans tomber, il lui faudra un peu de persévérance, car il tombera encore souvent.
Apprendre à jouer du piano, c’est un peu comme apprendre à danser avec 10 pattes. Comme pour l’enfant qui apprend à marcher, il faut s’entraîner et il est impossible de ne pas trébucher souvent avant de maîtriser la chorégraphie du metteur en scène.
Bien sûr la pièce jouée dans la vidéo ci-dessus n’est pas pour débutants et il faut quelques années de pratique pour arriver à ce résultat (environ 5 à 6 ans).
Pour un débutant, l’indépendance des mains (et des doigts) peut de prime abord ressembler à une montagne infranchissable.
Ni trop dur, ni trop facile
L'une des clés du succès est de ne pas s'imposer des exercices ou pièces trop difficiles.
Lorsqu’on est trop ambitieux, on fait beaucoup d’erreurs et on progresse très lentement, ce qui peut amener de la frustration.
Au contraire, avec des pièces adaptées à son niveau, c.à.d. légèrement en-dessous de sa limite, on fait nettement moins d’erreurs et la progression se fait naturellement. Assez rapidement, l’élève a le plaisir de constater que ses doigts commencent à se mouvoir de façon presque indépendante devant ses yeux et ses oreilles peuvent apprécier le résultat.
Mais il est également important de ne pas travailler des pièces trop faciles, sinon on s'ennuie, ce qui est tout aussi frustrant. Il faut naviguer entre les deux.
Illustration du principe :
Les mains et le cerveau
Il est bien connu que l'hémisphère gauche du cerveau gère la partie droite du corps et l'hémispère droit la partie gauche. C'est également le cas pour les bras, les mains et les doigts.
Ainsi, pour faire de la musique avec ses deux mains, il est nécessaire que les deux hémisphères communiquent ensemble. Le transfert rapide d'informations (la communication inter-hémisphérique dure de 20 à 50 millisecondes) et la coordination entre les deux hémisphères se fait par l'intermédiaire du corps calleux, qui relie les deux côtés du cerveau. On constate que les musiciens ont en général un corps calleux plus développé que la moyenne, ce qui résulte d'une coordination et d'un échange d'informations accrus entre les deux hémisphères.
Nous pouvons donc retenir les deux informations suivantes :
- chaque main est gérée par un autre hémisphère cérébral ;
- il faut un peu de temps pour faire passer l'information de l'un à l'autre.
Remarque : Tout n'est pas encore entièrement élucidé à ce sujet. Des recherches récentes en neurologie semblent privilégier l'hypothèse que ce serait le côté hémisphérique gauche qui prendrait entièrement la commande au cours du jeu instrumental (cf. lien en fin d'article).
Séparément et lentement
Il est parfaitement possible de jouer une pièce toute simple directement avec les deux mains ensemble. Néanmoins, la complexité de l'oeuvre et la vitesse d'exécution ne doivent pas dépasser une certaine limite, sinon la quantité d'informations à traiter et à échanger entre les deux côtés du cerveau devient trop importante.
Alors, comment fait-on pour apprendre à jouer des pièces plus complexes avec des parties pour la main gauche et la main droite très différentes ?
La solution est de d'abord travailler chaque main séparément et lentement.
A mesure que l'on avance dans l'apprentissage, la vitesse d'exécution peut être graduellement augmentée. Ceci est possible, car les mouvements des doigts et des mains s'impriment peu à peu dans notre mémoire (ou plutôt nos différentes mémoires → sujet d'un futur article) et il est de moins en moins nécessaire d'y penser de façon consciente.
Ensemble et encore plus lentement
A un moment donné, quand on maîtrise déjà bien les deux parties séparément, on peut commencer à mettre les deux mains ensemble.
Un grand nombre d'informations doivent alors transiter entre les deux hémisphères et par conséquent, il faudra se remettre à jouer très lentement pour permettre cet échange. Des parties difficiles devront être travaillées séparément et encore plus lentement.
Ensuite, comme pour l'apprentissage des deux parties séparément, on peut à nouveau progressivement augmenter la vitesse, jusqu'à atteindre le tempo souhaité.
Au terme de ce travail, on se rendra compte qu'il s'agit plus d'une interdépendance des mains (et des doigts) que d'une indépendance.
Créer sa propre musique
Les doigts et les mains finissent par se mouvoir de façon presque automatique et on n'a plus besoin de penser à chacun des dix doigts. On peut se concentrer sur des aspects plus globaux comme l'interprétation et la musicalité de son jeu.
C'est à ce moment-là que l'on intègre l'oeuvre et que l'on crée sa propre musique, ce qui procure des sensations très fortes. Comme la pratique du piano fait appel à un grand nombre de capacités cognitives et émotionnelles, l'expérience est profondément enrichissante.
Il est à relever que ceci n'est pas seulement vrai pour un pianiste chevronné. Un débutant peut prendre beaucoup de plaisir à maîtriser une pièce relativement simple.
Liens
Pour aller plus loin, nous vous recommandons la lecture de la page suivante du site Médecine des Arts :